mercredi, mars 29, 2006

Foucault fin, "les aboiements de son épouvante" et la raison

par Matthieu Potte-Bonneville (reprise d'extraits)

Une sage partition des rôles: à la philosophie l'analyse logico-linguistique ds notions, à la politique l'invocation des grands principes et la dénonciation des souffrances planétaires.
On en voit aujourd'hui le résultat: la philosophie universitaire devient une scolastique peu soucieuse des brûlures du monde, et la politique un mélange de gestion satisfaite et d'indignation inarticulée.
Une pensée indifférente, une critique indifférenciée.

Pour Foucault, il faut repérer sous les oppositions trop grosses la découpe fine et mobile des relations de pouvoir.
Examiner l'histoire des instances (la conscience, l'individu) ou des aspirations (la vérité, la reconnaissance, le droit) dont nous croyons qu'elles nous protègent, de toute éternité, des excès de la force, quand elles en forment peut-être l'un des efforts récents, et l'un des plus sûrs ressorts.

Il y a une économie des supplices, un art de la relégation, des violences variées et savantes, liées aux mille fibres de l'époque où elles ont lieu, aux valeurs sociales et aux principes moraux qui y ont cours et qu'elles semblent pourtant contredire.

Foucault fait sortir la minutie conceptuelle du champ clos des questions d'école, il met l'analyse dans le politique. Mais à rebours, il met l'intolérable dans la philosophie, l'embarrasse de questions critiques au sens où elles la mettent en crise, tant la raison s'y affronte à des miroirs où elle ne peut ni se retrouver ni se reconnaître.
Comment la méditation cartésienne peut-elle cohabiter, dans l'archivage de l'âge classique, avec les milliers de pages où Thorin, dément furieux, consignait "les aboiements de son épouvante"?
Que pense la médecine expérimentale de s'être d'abord annoncée dans les pages de Sade?
Ou les sciences humaines d'avoir été, dès le berceau, surveillantes et panoptiques*?

Que peut faire la pensée de cete promiscuité avec une menace qui, tout à la fois, l'étaie et la défait, la soutient et l'inquiète?
"Il y a un quelque chose qui détruit ma pensée" pour Artaud

Ce qui vient ainsi obscurcir la clarté du concept, ce n'est pas une "condition humaine" éternellement malheureuse, mais une expérience à chaque fois déterminée: à chaque domaine ses gouffres, à chaque époque ses interstices. Ces "craquelures", ces "secousses sourdes" forment la condition d'(im)possibilité de sa pensée, le lieu depuis lequel se laisse voir, et écrire, une autre histoire de l'asile, de la prison ou de la sexualité.

Façon, non de "réconcilier" théorie et pratique, mais d'organiser entre elles une sorte d'effraction réciproque. Refuser de choisir entre la radicalité et la précision, entre la lutte et la contre-expertise, entre le souci de comprendre et celui de ne rien céder.




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...il faut penser aux marges...

*Le panoptique est un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe Jeremy Bentham. L'objectif de la structure panoptique est de permettre à un individu d'observer tous les prisonniers sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés, créant ainsi un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus.
En somme, on inverse le principe du cachot; ou plutôt de ses trois fonctions - enfermer, priver de lumière et cacher - on ne garde que la première et on supprime les deux autres. La pleine lumière et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protégeait. La visibilité est un piège. (…) Avec le panoptique, un assujettissement réel naît mécaniquement d’une relation fictive. De sorte qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des moyens de force pour contraindre le condamné à la bonne conduite, le fou au calme, l’ouvrier au travail… (…) Celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ; il devient le principe de son propre assujettissement. » (Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975)
L'idée de Bentham dérive de plans d'usine mis au point pour une surveillance et une coordination efficace des ouvriers. Ces plans furent mis au point par son frère Samuel, dans l'objectif de simplifier la prise en charge d'un grand nombre d'hommes. Bentham compléta ce projet en y mêlant l'idée de hiérarchie contractuelle : par exemple, une administration ainsi régie (par contrat, s'opposant à la gestion de confiance) dont le directeur aurait un intérêt financier à faire baisser le taux d'accidents du travail. Le panoptique fut aussi créé pour être moins cher que les autres modèles carcéraux de l'époque en nécessitant moins d'employés.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Panoptique